Et si on parlait un peu d'un des hommes les plus importants du XXe siècle ? L'air de rien, il a accéléré la fin de la Seconde guerre mondiale et est un des pères de l'informatique... Tout le monde ne peut pas en dire autant. En plus, il a une vie pas banale pour un sou. Voici donc l'histoire d'Alan Turing.
Le petit Alan Mathison Turing (parce qu'il était bien petit un jour) naît le 23 juin 1912, à Paddington, à Londres. Son père, Julius Mathison, n'est pas là : il est collecteur d'impôts aux Indes. Il est élevé, comme son frère aîné John, par sa mère, Ethel Sara Turing.
À l'école, Alan n'est pas très bon. Il apprend certes à lire assez rapidement, mais ne se passionne que pour les nombres et plus généralement les mathématiques. À tel point qu'il n'écoute même pas en cours d'instruction religieuse, la honte !
À l'internat, il fait la connaissance du premier homme de sa vie, pourrait-on dire. Christopher Morcom, qu'il rencontre en 1928, âgé d'un an de plus que Turing, partage ses passions pour l'astronomie, les mathématiques et la théorie quantique (ils devaient pas être rigolos tous les jours). Turing était fasciné par Morcom (plus doué que lui en cours), amoureux même, et la mort à 19 ans de Morcom l'a évidemment touché.
Turing continue ses études, il entre au King's College à Cambridge en 1931. Comme quoi il n'était pas si nul que ça... Du moment qu'il pouvait faire des maths, ça allait même plutôt bien.
Il s'intéresse aux travaux de von Neumann sur la mécanique quantique (en 1932), se sent proche du mouvement anti-querre de 1933, économiquement il est plutôt d'accord avec Keynes (le brave garçon), fréquente le milieu homosexuel du King's College (comme quoi il y avait un milieu homosexuel au King's College à Cambridge à l'époque, qui l'eut cru), fait de l'aviron, de la course à pieds, il a même un petit bateau (comme Dexter, quoi).
Ses travaux sur la théorie des probabilités lui valent un certain nombre de prix reçus entre 1934 et 1936. On l'imaginait devenir un mathématicien pur et dur, mais Turing se passionnait depuis quelques années déjà pour la logique. Il apprend la théorie de Bertrand Russell, puis découvre les travaux de Gödel et son fichu théorème d'incomplétude (qui dit en gros qu'une théorie suffisante pour faire de l'arithmétique contient toujours des énoncés qui ne sont pas démontrables, et dont la négation n'est pas démontrable non plus, bref des énonces sur lesquels on ne sait rien et ne saura jamais rien). Turing se sert des arguments de Gödel pour répondre à un autre grand problème de la logique, joliment baptisé Entscheidungsproblem ou Problème de la décision, dû à Hilbert (le monsieur de l'hôtel de l'infini, si ça vous dit quelque chose) en 1928. En gros (en énorme, même), il est question de savoir s'il existe (au moins en principe), une méthode définie permettant de décider si une assertion mathématique est démontrable. Suspense... Existe-t-il une méthode, ou pas ? Suspense... Turing propose une réponse en 1936, la même qu'un certain Alonzo Church (pas de bol pour Turing, c'est la réponse de Church qui a été publiée en premier). Mais tous les deux ont répondu que non, il n'existe pas.
Ce qui est intéressant, c'est la technique utilisée par Turing. Il a voulu décrire ce que pouvait être cette méthode définie permettant blablabla... Et il a eu l'idée génial de raisonner en termes mécaniques, matériels, en imaginant une machine qui lit des symboles sur un ruban de papier, et peut aussi écrire, et arrive comme ça à calculer un truc précis... Mieux, on peut faire une machine (de Turing, puisqu'il est bien question de ce que l'on appelle encore aujourd'hui machine de Turing) universelle, qui peut simuler le fonctionnement de toutes les machines de Turing. Exactement comme un ordinateur peut exécuter n'importe quel programme, pour peut qu'on lui donne du code à interpréter.
Et la machine Turing devint la base de presque toutes les démonstrations en informatique théorique. Un truc qui peut tout faire ! C'était révolutionnaire à l'époque, évidement aujourd'hui à l'heure des ordinateurs portables ça impressionne moins...
Au passage, toute la théorie de Turing, avec cette machine universelle à qui l'on peut fournir une sorte de code de programme pour qu'elle fasse ce qu'on veut, date de 1936, comme déjà dit. Soit neuf ans avant que les avancées en électronique permettent de mettre tout ceci en pratique, et de se rendre compte à quel point Turing était génial.
En septembre 1936, Turing arrive à l'université de Princeton. Il y étudie l'algèbre ainsi que la théorie des nombres qui lui fournira un sujet de thèse de doctorat. Parallèlement à ces travaux théoriques, il se lance aussi dans le concret : il met notamment au point une machine capable de crypter des messages en multipliant des nombres binaires... La cryptographie était d'ailleurs d'autant plus à la mode à l'époque que l'on commençait à entrevoir des risques de guerre avec l'Allemagne nazie.
En 1938, il retourne à Cambridge, suit les cours de philosophie des mathématiques de Wittgenstein (il a fréquenté de ces gens !), soutient l'entrée en Grande Bretagne d'un réfugié juif allemand, travaille secrètement pour le Départmeent de cryptographie britannique, appelé alors Government Code and Cypher School. En octobre, il assiste à la projection de Blanche-Neige et les sept nains, le premier long métrage animé de l'Histoire. Vous savez, avec la méchante sorcière qui empoisonne une pomme...
Et il commence à s'intéresser aux moyens de casser les message codés par les Allemands avec leur machine Enigma. Quelques informations bien utiles fournies par des mathématiciens polonais en 1939 permettent aux travaux d'avancer, et avec l'aide de W. G. Welchman, un autre mathématicien de Cambridge, Turing (qui a quand fait la plus grande part du boulot) met au point une méthode permettant de déchiffrer tout message codé avec Enigma, pour peu qu'une petite partie du texte ait été devinée correctement. Dès 1940, le déchiffrage de messages codés avec Enigma devient un travail de routine, qui par exemple de comprendre les messages utilisés par la Luftwaffe.
Les messages codés avec une version légèrement différente d'Enigma par la marine allemande étaient eux plus difficiles à déchiffrer. Turing arriva nénamoins à casser le code fin 1939, mais l'utilisation pratique de sa méthode ne put commencer qu'en 1941. Pas de chance, en 1942 les Allemands modifient leur code et les Anglais ne peuvent plus rien décoder. Alan Turing était une des stars (si ce n'est la star, ou le « père spirituel ») de Bletchley Park, le QG britannique de la cryptographie. Il demandé une de ses (jeunes) collègues, Joan Clarke, en mariage. Elle accepta... Mais c'est Turing qui refusa finalement peu après, lui expliquant qu'il était homosexuel. Turing part alors aux États-Unis, et arrive avant son retour en Angleterre en mars 1943 à re-casser le code. Jusqu'à la fin de la guerre, les Alliés pourront décrypter les communications allemandes.
Turing s'intéresse alors à l'électronique. Avec une ambition : concevoir une réalisation électronique de la machine de Turing universelle. Autrement dit, construire un ordinateur. Cette idée le fascinait. Il avait montré dans ses premiers travaux en 1936 les limites de ce qu'il était possible de calculer, mais il poursuivait néanmoins le but, selon ses propres mots, de « construire un cerveau. » En 1946, son article sur l'ACE ou Automatic Computing Engine est publié (un an après un article sur un sujet similaire de Von Neumann, Turing n'a jamais eu de chance avec les dates de publications, il y a toujours eu quelqu'un pour lui passer devant au dernier moment).
En octobre 1947, Turing retourne à Cambridge. Il s'intéresse à la neurologie et à la psychologie, publie des articles sur ce qui deviendra plus tard les réseaux neuronaux : des mécanismes capables « d'apprendre. »
Turing n'a pas été le premier à réaliser une implémentation concrète d'une machine universelle : c'est à Manchester en juin 1948 que la première réalisation d'un ordinateur selon les principes de Turing a vu le jour, sous la direction de F. C. Williams.
Mais il y avait quand même des courses que Turing arrivait à gagner... Des courses à pied ! Depuis la fin de guerre il s'entraînant régulièrement, à un niveau amateur relativement avancé, et a même failli participer aux Jeux Olympiques de Londres en 1948 ! Hélas pour lui, une blessure l'en a empêché.
Turing n'avait jamais caché son homosexualité, mais l'ambiance à Cambridge l'incita a être moins secret qu'auparavant. Un étudiant en mathématiques du King's College, Neville Johnson, devint son amant.
Fin de la première partie. Demain, suite et fin de l'article sur Alan Turing, avec au programme : un test, un procès, une pomme.
2 commentaires:
Coucou toi,
je sais pas si tu te souviens, mais j'avais parlé de lui dans la rubrique Histoire(s), il y a super longtemps...Par contre j'avais moins détaillé, et je m'étais concentré sur l'essentiel. Du coup j'apprends quand même des trucs ! :-)
La partie 2, c'est pour quand ?
Coucou,
Je ne me souvenais pas trop :-/ mais de toute façon c'est pas grave, je parle de ce que je veux :-) et puis comme dis je pense que l'article est nettement plus long, et j'espère n'avoir pas rajouté que du vent :-)
Pour la partie 2... bah si tu lisais jusqu'au bout avant de poster un commentaire tu le saurais ! Mais je peux même vous dévoiler un secret : elle est déjà écrite.
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